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André Julg (1926-2003)

Article paru dans l'Actualité Chimique N°266 - juin 2003
Rédigé par Pellegatti Alain

Ancien élève du lycée Thiers à Marseille, puis de l’École Normale Supérieure à Paris, d’où il sorti agrégé en sciences physiques, il avait ensuite préparé une thèse de doctorat dans le domaine de la chimie théorique avec le professeur Bernard Pullman à l’Institut du radium, tout en exerçant les fonctions d’agrégé-préparateur dans le laboratoire de son ancienne école, dirigée alors par le professeur Albert Kirrmann. Son diplôme fraîchement obtenu, tout auréolé de sa soutenance devant un jury prestigieux, comprenant entre autres Louis de Broglie, le fondateur de la mécanique ondulatoire, dont il avait suivi le cours à l’École, il fut nommé professeur de chimie théorique à la Faculté des sciences St-Charles de Marseille en 1957. À ce sujet, il aimait raconter qu’un théoricien comme lui avait eu le soutien de ses futurs collègues chimistes, membres de ce qui ne s’appelait encore qu’une Commission de spécialistes, en effectuant devant eux la préparation d’un magnifique composé bleu, dérivant de l’azulène, dont il venait de déterminer la structure électronique.

Le cours qu’il dispensa dès le début, totalement innovant, devint rapidement une référence. Même si son contenu causait pas mal de frayeurs aux étudiants de licence, on se devait de suivre le cours de Julg, et d’obtenir son certificat. De nombreux collègues, ayant ensuite fait carrière dans d’autres parties de la chimie, s’en souviennent encore avec émotion et ne manquent pas d’évoquer à l’occasion tout le savoir qu’ils ont acquis -~et dont ils font encore usage~- auprès du. Professeur Julg. Les livres d’enseignement qui en résultèrent et une traduction en langue étrangère qui en fut donnée prouvent l’impact qu’ils eurent alors sur la communauté universitaire. Toujours soucieux d’être au plus près de la réalité scientifique, même pour les jeunes à leurs débuts, il s’intéressa aussi à l’enseignement dans les lycées et un ouvrage leur fut consacré. Bien entendu, il fut également rapidement reconnu pour ses travaux de recherche. Tous ceux qui l’ont côtoyé à l’époque se souviennent de la fierté qu’il avait à montrer sa tapisserie~! En l’occurrence, de nombreuses double pages jointes entre elles en une affiche (dans le jargon d’aujourd’hui) de largement plus du mètre carré, représentant des matrices auxquelles il avait eu affaire dans ses travaux sur la molécule d’azulène. Fierté, pourquoi~? Car il avait terminé son travail, entièrement à l’aide de simples calculatrices élémentaires, six mois avant un collègue américain qui, en compétition avec lui, utilisait les tous premiers ordinateurs accessibles dans notre domaine. C’est cet enthousiasme qu’il communiqua a ses élèves. À Marseille, il développa pendant de nombreuses années la théorie L.C.A.0. améliorée, qui représentait une avancée importante dans le cadre des méthodes dites semi-empiriques, mais il avait dû, pour des raisons calculatoires, limiter aux électrons~π, responsables de la conjugaison. Il se tourna ensuite vers l’étude des cristaux. En fait, il était surtout fasciné par leur couleur, qu’il cherchait à expliquer. Il fut l’un des premiers à les étudier plutôt comme des molécules géantes, avec tous leur électrons σ et π, que comme des systèmes périodiques~; un ouvrage «Cristals as giant molecules» (Lecture Note in Chemistry~#9, Springer-Verlag, Berlin) en témoigne. C’est pourquoi il s’était rapproché du Centre de recherche des mécanismes de la croissance cristalline (CRMC2) à Marseille-Luminy, alors dirigé par le professeur Raymond Kern, dans les années~80.

Tous ces travaux trouvèrent leur conclusion dans près de 200~publications, de nombreuses communications et thèses dirigées, plusieurs ouvrages et des collaborations variées. Son activité n’avait pas cessé avec son départ en retraite, il y a une dizaine d’années~: convaincu que l’esprit doit primer sur la machine, quitte à ce que l’ordinateur confirme ultérieurement ses hypothèses, il n’acceptait pas l’idée de «ne pas comprendre la mécanique quantique» et il en avait développé une nouvelle approche, très originale, dans une autre «Lecture Note» publiée en 1998 sous le titre «From atoms and molecules to the cosmos». Son grand regret était de ne trouver aucun éditeur qui veuille bien de la version élargie, en. langue française, qu’il avait sous le coude.

Le professeur André Julg, figure marquante des sciences chimiques, nous laissera le souvenir de quelqu’un qui aimait la connaissance, sous toutes ses formes. En dehors de son domaine propre, il était féru d’archéologie, de langues anciennes, de géologie (ceux qui l’ont rencontré chez lui ne peuvent avoir oublié sa, plus que conséquente, collection de pierres et de fossiles, minutieusement étiquetée),… et de bien d’autres domaines encore. C’était un défenseur de la latinité à travers la langue française et il était particulièrement heureux d’avoir organisé en 1975 la «VIe~Rencontre des chimistes théoriciens d’expression latine» en Arles, la première ville fondée par les Romains en Gaule.

André Julg nous donna toute sa vie une leçon de courage, refusant l’adversité, refusant les conséquences handicapantes d’une maladie contractée à son adolescence. Après le décès en décembre 2002 de son épouse Odette, qui l’avait pendant des années secondé en tant que Chef de travaux à l’université de Provence à Marseille, il venait de rejoindre, il y a quelques semaines à peine, son fils Pierre, professeur de mathématiques à l’université d’Orléans, et sa famille. Le destin, brutal, ne lui a permis que d’y faire un trop bref passage.

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