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Comment cultiver le goût d'entreprendre en France ?

Article paru dans l'Actualité Chimique N°215 - juin 1998
Rédigé par Schorsch Gilbert

C’est à cette question, aussi cruciale qu’urgente, que les Assises de l’Innovation du 12 mai se proposaient d’apporter quelques éléments de réponse.
Tenues symboliquement à la Cité des Sciences et sous l’égide conjointe du MENRT et du MEFI, elles ont mis, face à face, une nouvelle fois, l’ensemble des acteurs de l’innovation en France. Aux scientifiques et aux industriels, mais aussi aux financiers, cette journée aura permis de témoigner et d’émettre leurs ultimes recommandations. Au Premier ministre, clôturant ce mini-conseil des ministres tenu en public, elle aura fourni l’occasion d’exposer sa politique d’encouragement de l’innovation, priorité de son gouvernement et clé de voûte de la modernisation du pays et de la création d’emplois.
Dans la continuité du rapport Guillaume, les Assises Régionales, organisées au mois d’avril dans plusieurs grandes villes, avaient permis de dresser un constat, sans complaisance mais unanimement partagé, de la situation et de l’exception françaises.

L’innovation est, certes, une démarche globale, à plusieurs composantes — scientifique, industrielle et financière — qui doivent se conjuguer et se relayer, à bon escient, pour déboucher sur des technologies et des services comercialisables, c’est-à-dire sur des entreprises et sur des emplois. Mais les spécificités françaises n’aident pas à mettre en marche puis à lubrifier en engrenage aussi complexe. Elles sont d’origine structurelle — le double système de formation universités/grandes écoles et la coexistence des grands organismes de recherche conduisent à un cloisonnement et à une dispersion des moyens. Mais elles ont aussi des racines culturelles, plus profondes, et donc difficles à extirper. Parmi celles-ci, le clivage et la hiérarchisation entre sciences pures et technologies avec leurs conséquences néfastes — à savoir la faible sensibilisation des laboratoires publics à la culture d’entreprise et à la propriété industrielle et un développement, resté embryonnaire, des instituts de technologies ou des instituts Frauenhofer aux États-Unis et en Europe, qui font ailleurs leurs preuves. Mais aussi la suspicion vis-à-vis de l’argent et du profit qui sont pourtant reconnus comme les moteurs décisifs des entrepreneurs qui réussissent et des entreprises qui perdurent.

Fort de ce constat et de ses effets néfastes sur l’innovation, le gouvernement fixe le cadre et les conditions pour développer davantage le goût d’entreprendre. Deux mots d’ordre, martelés, sans fausse note, dans les interventions successives de Claude Allègre, Christian Perret, Dominique Strauss-Kahn et Lionel Jospin, sous-tendent et résument les orientations retenues : ouverture et partage des risques.
Les principales mesures d’ouverture anoncées ne faisaient, en fait, que reprendre et confirmer les propositions qui avaient été lancées — et probablement testées — depuis plusieurs mois. Ouverture par la mobilité des idées et des hommes, qui se traduisent concrètement par les post-doc et l’année sabbatique des professeurs en entreprise, et par la généralisation des structures de valorisation dans tout établissement et toute université. Ouverture par la reconnaissance de la technologie comme discipline à part entière et symbolisée par la création du Conseil Supérieur de la Technologie. Ouverture par le rapprochement des équipes des grands organismes avec la mise en place de réseaux thématiques, dans des domaines porteurs clairement identifiés et affichés (électronique, informatique, matériaux, biotechnologie…). Il faut, en effet, une masse critique pour donner vie à des actions d’envergure car le temps des innovations faciles est révolu. Ouverture encore des laboratoires de recherche vers les PME, trop longtemps délaissées au profit des grands groupes. Ouverture enfin vers l’international, par l’installation de laboratoires publics à l’étranger, pour bien prendre le pouls de la compétition internationale.

Mais toutes ces dispositions ne suffisent pas, à elles seules, pour mettre fin à la panne d’innovation. Les responsables politiques, conscients du caractère hasardeux et fragile de l’innovation, s’engagent publiquement à encourager et à partager le risque de tous ceux qui — dans les industries, PME ou les collectivités locales — sont tentés par l’aventure. Des incitations financières et réglementaires sont clairement identifiées et reconnues comme les stimulants décisifs de toute initiative, personnelle ou collective. C’est cette face sous-estimée de l’innovation qui constitue certainement l’apport le plus novateur, mais aussi le plus inattendu de l’engagement politique.
Le Premier ministre propose courageusement de changer radicalement les habitudes et de passer de la logique de subvention aux grands groupes et aux grands programmes, qui n’a pas fait les preuves de son efficacité, à une logique de partenariat responsable en direction des PME innovantes. Pour soutenir cette nouvelle orientation, l’État s’engage à adapter l’environnement financier et législatif qui doit accompagner tout développement et à faire davantage confiance aux initiatives individuelles. Selon les étapes de leur développement, les entreprises pourront faire appel successivement aux aides accordées pour la stimulation de programmes thématiques (1 milliard/3 ans), aux fonds d’amorçage (100 millions/an) et aux marchés boursiers, dont les possibilités d’intervention seront accrues par des allégements fiscaux accordés aux détenteurs de FCPI et de sociétés de capital risque. La progression des capitaux levés au nouveau marché (qui a quadruplé en deux ans pour atteindre 4 milliards le mois dernier) et au second marché (qui est passé de 1 milliard à 8 milliards dans la même période) devrait ainsi se poursuivre et même s’amplifier.
Simultanément, le crédit d’impôt recherche sera prolongé de 5 ans et rendu accessible aux PME. Les individus verront le cadre juridique et social de l’intéressement se transformer pour devenir réellement plus incitatif (bons de souscription de parts de créations d’entreprise pour les dirigeants, stock options pour leurs collaborateurs).

Dans l’ensemble, ce dispositif global d’incitation a reçu un accueil favorable de la part des participants à cette Journée. Il touche et opère au cœur de la vulnérabilité et du mal français. Le diagnostic s’est, au fil des ans, affiné. Les remèdes sont à présent prescrits. Ils devraient faire leurs preuves. À moins que les discussions qui accompagneront l’élaboration du cadre législatif ne dénaturent le fond des intentions de ceux qui les proposent. La déception de ceux qui sont prêts à avaler la potion serait grande.

Gilbert Schorsch
Rédacteur en chef

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