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Conclusion

Article paru dans l'Actualité Chimique N°255 - mars 2002
Rédigé par Baumard Jean-François

Les lecteurs de ce très beau et sûrement très utile numéro spécial sur les matériaux auront maintenant sans doute une vue plus large et enrichie sur cette science, science frontière et d’interfaces entre la physique, la chimie et le génie des procédés.
L’on s’aperçoit à la lecture que, loin d’être une science un peu démodée, la science des matériaux se renouvelle sans cesse et que la diversité des études et des recherches la rend constamment vivante et multiple. On comprend alors pourquoi elle a eu un rôle précurseur dans l’interdisciplinarité au CNRS et à l’Université.

Les matériaux de structure ne sont plus seulement métalliques. L’hyperchoix des matériaux a entraîné des progrès étonnants, bien sûr dans les céramiques et les composites, mais aussi un renouveau sur les matériaux plus traditionnels, les fibreux, les textiles, les papiers et cartons, les bétons… Leur formulation et leurs fonctionnalités les font assimiler de plus en plus aux matériaux de haute technologie, bien que de grande diffusion. La course à la légèreté, à la durabilité, à la réduction des coûts, notamment dans les transports automobile ou aéronautique, est passionnante par suite de la concurrence entre les alliages acier ou aluminium et les polymères structuraux.

Les matériaux fonctionnels trouvent de nouvelles niches comme celle des semi-conducteurs de puissance, les couches minces, l’optique et l’optronique. Même s’il s’agit d’un secteur qui reste quelque peu « masqué » par l’application finale, on peut penser que la e-révolution et la e-économie dont on fait grand cas n’existeraient pas si les recherches et les développements sur les composants n’avaient été soutenus et n’avaient progressé d’une telle façon, inimaginable il y a à peine 15 ans. Une conséquence de l’évolution de la société est le succès du portable ou nomade, qui suscite une recherche fébrile et concurrentielle sur les matériaux pour l’énergie, notamment pour le stockage, et le renouveau d’une mode déjà ancienne pour les piles à combustible.

Comment répondre au mieux aux attentes économiques et sociales de la nation et aux attentes des industriels du secteur ? Quelques réflexions issues de l’évolution au cours des dernières décennies doivent nous guider ou nous inspirer :
• L’hyperchoix des matériaux a de profondes répercussions sur le mode de vie et sur le système productif. Il affecte la manière de produire et ouvre de nouvelles voies à la création. Il devient de plus en plus difficile au stade industriel de dissocier le matériau, le procédé et le produit. Un matériau ne s’impose pas seulement par une propriété intrinsèque, mais parce que procédé d’élaboration, procédé de mise en forme et de mise en oeuvre sont bien maîtrisés et de façon compétitive.
• L’opposition matériaux nouveaux/matériaux traditionnels devient bien souvent artificielle, tant il est vrai que les matériaux nouveaux, malgré un taux de croissance important, ne représentent et ne représenteront probablement pas, même d’ici 10 ans, un marché significatif de l’ordre de 10 %. Par contre, les matériaux traditionnels (acier, verre, plastiques de grande diffusion, béton) sont stimulés : leur qualité, leurs performances, leur prix de revient s’améliorent, et même si leur volume tend à diminuer, leur marché demeure en croissance.
• Pour les matériaux de structure, les révolutions technologiques et les progrès réalisés proviennent des avancées dans la maîtrise microscopique de la matière ; ceci entraîne un accroissement de la complexité des systèmes de production, qui prend appui sur la modélisation des compositions, des produits, avec deux conséquences :

  • l’intégration plus poussée des étapes de conception et de production des pièces,
  • l’allègement perpétuel, notamment dans le domaine des transports, avec une recherche constante de compromis entre le poids et les impératifs de confort, de sécurité et de consommation.
    Enfin, une dimension nouvelle est apparue dans les matériaux, liée aux contraintes d’environnement, qui font émerger deux types de recherches ou de préoccupations, concernant :
  • les nouveaux procédés d’élaboration économes en énergie, peu polluants en effluents secondaires, en particulier gazeux ou liquides,
  • le recyclage, toujours avec un pourcentage plus important pour le verre, le fer et l’aluminium, avec des problèmes de pureté et de concentration d’éléments d’alliages parfois indésirables, et enfin celui du grand pari du recyclage des matières plastiques avec deux choix, thermolyse ou dépolymérisation, qui nous interpellent.

Le programme interdisciplinaire Matériaux du CNRS a su depuis 1997 faire travailler ensemble plus de 400 équipes de physiciens, chimistes, mécaniciens du solide, hommes du procédé et biologistes. Une bonne vingtaine de contrats sur programmes de recherche a accompagné l’émergence de réseaux d’industriels et de laboratoires. Relayé par le ministère, le Réseau National de Recherche et d’Innovation Technologiques Matériaux et Procédés (RNMP) a conduit pour sa part la Direction de la Technologie, le ministère de l’Industrie et l’Anvar à soutenir une trentaine de réseaux mixtes entre industriels et laboratoires. Le programme a également permis à plusieurs établissements (CNRS, CEA, INSERM) de collaborer sur de mêmes objectifs. Enfin, la Direction de la Recherche et le CNRS viennent de lancer un programme ambitieux sur les nanotechnologies, nanosciences et nanomatériaux.

C’est dire que la communauté sciences des matériaux, à la fois académique et industrielle, reste bien vivante et active. Au-delà des modes mobilisant momentanément les acteurs de cette communauté, comme le moteur céramique, les supraconducteurs à haute Tc, les « nanos »…, il est clair que les recherches et les études sur les matériaux nouveaux ou les matériaux d’usage doivent rester pérennes. N’oublions pas que ces investigations fondamentales sous-tendent un secteur économique important, que l’on estime à 7 millions d’emplois en Europe, hors mécanique et automobile, et qu’en ce domaine comme dans tant d’autres, l’Europe ne doit pas se laisser distancer par les États-Unis et le Japon. C’est ce à quoi notre communauté s’évertue.

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