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L’apport de la chimie aux problématiques de la science des matériaux du patrimoine

Article paru dans l'Actualité Chimique N°312-313 - octobre-novembre 2007
Rédigé par Mialocq Jean-Claude

L’apport de la chimie aux problématiques de la science des matériaux du patrimoine
Les aspirations des sociétés à des formes multiples de la culture ont été bien réelles à toutes les époques. Ces sociétés nous ont laissé un riche patrimoine culturel –~vestiges archéologiques, monuments historiques, objets et œuvres d’art~– qui témoigne d’un savoir faire ancien. L’apport de la chimie à l’archéométrie discipline concernant la datation, les prospections géophysiques et la caractérisation des matériaux. et à la science de la conservation et de la restauration des objets et œuvres d’art est manifeste. Ce numéro spécial de L’Actualité Chimique qui constitue le volume~I de «Chimie et patrimoine culturel» est consacré à la caractérisation, au vieillissement et à la conservation des matériaux. Il sera suivi en avril 2008 d’un second volume dédié aux matières picturales, pigments et colorants. Sans prétention à l’exhaustivité, y sont illustrées quelques avancées majeures de la chimie pour l’authentification, la conservation et la restauration des monuments historiques et des œuvres d’art, missions confiées à des institutions de recherche publique~: Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques (LRMH), Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF), Centre de Recherches sur la Conservation des Documents Graphiques (CRCDG)… La demande provient de la direction de l’Architecture et du Patrimoine et de la direction des Musées de France. Un rapport récent et très détaillé de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui fait suite à une mission parlementaire, porte sur les techniques de restauration des œuvres d’art et la protection du patrimoine.

Des avancées importantes sont aussi le fruit de travaux d’équipes universitaires ou d’établissements publics, en recherche fondamentale et même en recherche appliquée dans le domaine de la corrosion des métaux, des verres, des matériaux cimentaires. En effet, le patrimoine culturel n’a pas seulement un intérêt pour l’histoire de l’art et l’archéologie marine ou terrestre. L’étude d’analogues archéologiques corrodés comme les vitraux des cathédrales, les monuments historiques en pierre ou en béton armé, les alliages métalliques archéologiques et les biomatériaux, vestiges osseux ou fibres textiles minéralisées, permet de proposer de nouveaux matériaux mimétiques, d’augmenter la stabilité des confinements de déchets toxiques, qu’ils soient urbains ou nucléaires, sur des centaines d’années en profondeur, et de mettre au point des confinements plus sûrs pour les générations futures. L’identification de la nature et de la provenance des matières premières, et la compréhension des techniques de transformation et de fabrication du passé où les sources écrites sont souvent inexistantes, rendent possible la mise au point de nouveaux procédés pour l’avenir.

Les avancées dans la compréhension des processus physicochimiques d’altération des matériaux des objets et œuvres d’art, liées à celle des mécanismes réactionnels et aux progrès des techniques analytiques non destructives, des microanalyses élémentaires, isotopiques, moléculaires ou structurales et des techniques spectroscopiques (rayons UV, IR, X), sont la source des nombreuses applications depuis une vingtaine d’années. Les mécanismes de lente dégradation naturelle peuvent être confortés par des tests de vieillissement accéléré de matériaux de composition similaire.

En partenariat avec les conservateurs, les restaurateurs, les historiens d’art ou les archéologues, le rôle du chimiste est d’identifier les processus d’altération et de proposer des moyens de préserver les œuvres d’art. Les méthodes évoluent au gré des connaissances acquises. La restauration idéale devrait être réversible et les modifications de l’aspect doivent être minimales. Selon la possibilité d’effectuer ou non un prélèvement, qui est nécessairement intrusif, c’est une véritable négociation qu’engage le chimiste avec le conservateur ou l’archéologue du fait de la nécessité de préserver l’intégrité de l’œuvre ou de l’objet qui ont parfois un caractère unique et précieux. Le chimiste peut disposer de prélèvements infimes ou mieux utiliser des techniques de microanalyse non ou quasiment non destructives aux seuils de détection toujours plus bas : microscopie optique dans l’UV-visible ou l’infrarouge, microscopie électronique à balayage, microscopie électronique à transmission, absorption –~diffusion~– diffraction des rayons~X, fluorescence~X, émission~X induite par des microfaisceaux de particules chargées ou PIXE, spectroscopie sur plasma induit par laser (LIBS). Parallèlement aux outils de laboratoire indispensables en termes de précision, une instrumentation de terrain a été développée avec des appareils portables et peu encombrants qui fournit des réponses immédiates pour mettre en place une stratégie sur site, dans les musées ou sur les sites archéologiques. Une méthode unique ne pouvant fournir des réponses complètes, plusieurs méthodes sont souvent associées, dont le choix dépend du contexte de l’étude, du type d’objet et du caractère composite et hétérogène des matériaux.

Nous avons voulu que soit présenté un vaste panorama des stratégies de recherches effectuées en France pour répondre aux besoins en matière de conservation et de restauration des objets archéologiques les plus anciens ou des œuvres d’art. Les articles invités portent sur les aspects physico-chimiques des recherches, expertises in situ, stratégies analytiques, méthodes de détection, techniques de microanalyse, diagnostics des altérations, méthodologies de caractérisation des matériaux du patrimoine culturel, sur les retombées des résultats dans le champ de l’archéologie et sur les solutions de conservation-restauration pour des traitements dits de stabilisation. Les articles sont regroupés par domaines représentatifs des matériaux du patrimoine~: pierres, mortiers et bétons, verres et vitraux, métaux, matériaux osseux et bois, matières picturales, pigments et colorants.

Dans ce volume, deux articles illustrent des techniques récentes~: la spectroscopie LIBS évoquée plus haut et avec laquelle le cratère de 50~µm de diamètre n’est pas visible à l’œil nu, et le rayonnement synchrotron qui est un outil polyvalent pour l’étude des matériaux. Ce rayonnement continûment accordable offre de nouvelles perspectives avec les synchrotrons de 3e~génération comme SOLEIL car les lignes de lumière microfaisceau à polarisation linéaire ont une forte brillance et un flux 1010~fois plus intense qu’un générateur de rayons~X à anode tournante, qui permettent de collecter avec une plus fine résolution en imagerie 2D ou 3D des informations sur la composition élémentaire, la structure, la texture et la topographie des matériaux. Dans le volume~II, la méthodologie protéomique à l’interface chimie/biologie, qui fait appel à des techniques analytiques de pointe comme la spectrométrie de masse avec désorption-ionisation assistée par laser en matrice (MALDI-TOF), est utile pour l’identification des liants (blanc et jaune d’œuf) employés dans les peintures.

La présentation de ChimArt, GdR du CNRS, à l’interface des sciences physico-chimiques et des sciences humaines, confirme que fédérer les différentes équipes de recherche et constituer un lieu d’échanges des connaissances entre des communautés qui d’ordinaire ont peu de contacts, ont été utiles pour que les progrès de la chimie soient mieux appliqués aux véritables problèmes concrets posés par la conservation et la restauration des œuvres d’art.

Jean-Claude Mialocq, coordinateur du numéro

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