Votre recherche :

Olivier Kahn (1942-1999)

Article paru dans l'Actualité Chimique N°232 - février 2000
Rédigé par Girerd Jean-Jacques

Olivier Kahn venait d’avoir 57 ans. Il est décédé brutalement alors qu’il revenait d’une réunion scientifique au Japon et qu’il s’apprêtait à animer les journées de la division Chimie de coordination de la Société Française de Chimie, division dont il était président.

C’est un grand chercheur scientifique, un excellent pédagogue, un homme de grande culture et de dévouement au service public d’enseignement supérieur et de recherche qui vient de disparaître.

Il était ancien élève de l’École Nationale Supérieure de Chimie de Paris, où il a fait sa thèse d’État en chimie organométallique dans le laboratoire du professeur Bigorgne. Après un stage post-doctoral à l’Université d’East Anglia dans l’équipe du professeur Sydney Kettle, il a été nommé professeur à Orsay où il a créé, en 1976, le Laboratoire de spectrochimie des éléments de transition, dont l’intitulé marque bien son intérêt pour la spectroscopie et pour la chimie des éléments de transition. Plus précisément, Olivier Kahn, à cette époque, s’est consacré à la recherche des lois gouvernant la relation entre la structure des complexes polynucléaires des éléments de transition et leurs propriétés magnétiques. Il a tout d’abord proposé un modèle de l’interaction d’échange qui a mis à la portée du chimiste expérimentateur un outil de réflexion efficace. Il a ensuite su imaginer puis réaliser les systèmes chimiques simples qui ont montré la justesse de ce modèle théorique. Les très nombreux résultats obtenus à Orsay, la diffusion dans le monde, de cette manière d’appréhender les propriétés magnétiques des complexes polynucléaires pour résoudre des problèmes à la frontière de la physique et de la biochimie, ont contribué au renouveau du magnétisme moléculaire auquel Olivier Kahn a consacré un remarquable livre " Molecular Magnetism ", paru en 1993 et très largement diffusé depuis.

Le départ d’Olivier Kahn à Bordeaux en 1995 lui a permis de créer une nouvelle équipe et de poursuivre son travail de chimiste inorganicien moléculaire au sein de l’Institut de Chimie de la Matière Condensée. Il s’est, en particulier, intéressé à l’étude des complexes à transition de spin et commençait celle des propriétés magnétooptiques des complexes polynucléaires.

Olivier Kahn était un animateur scientifique dynamique, passionné, convaincant, attentif à la fois au but à atteindre (une interaction ferromagnétique forte entre deux ions métalliques, une transition de spin à la température ambiante, un aimant à précurseur moléculaire, etc.), à la démarche pour y parvenir et au détail qui fait qu’une expérience marche ou ne marche pas. Il était soucieux de l’épanouissement scientifique des jeunes dont il savait s’entourer en impulsant lui-même le mouvement de création.
Olivier Kahn était un extraordinaire conférencier et un remarquable pédagogue. Ceux qui l’ont vu, poingts et bras levés, décrire le combat éternel entre ferro- et antiferromagnétisme ne sont pas prêts de l’oublier. Il savait, mieux que personne, aller simplement à l’essentiel en utilisant un langage châtié sans doute mais simple, souvent imagé pour mieux convaincre son auditoire et ses étudiants. Il avait rédigé plusieurs ouvrages pour un vaste public : " Données fondamentales pour la chimie ", avec sa collaboratrice de la première heure Marie-France Koenig-Charlot, recueil de données fortement marqué par sa passion pour les orbitales et pour la symétrie ; " Structure électronique des éléments de transition ", introduction simple et claire à la spectroscopie des éléments de transition.

Olivier Kahn avait un sens aigu du service grand public d’enseignement supérieur et de recherche, de la nécessité d’un large diffusion de la connaissance. Cela l’a amené à contribuer à la création de l’Institut de Chimie Moléculaire d’Orsay à une époque où ce type de rapprochement entre laboratoires de chimie inorganique et organique était l’exception. Avec ses amis Lionel Salem et Henri Kagan, il a contribué à créer, avec le soutien du CNRS, le Nouveau Journal de Chimie, devenu le New Journal of Chemistry, journal de chimie pluridisciplinaire, fédérateur de diverses sensibilités. Il en a assumé la rédaction en chef pendant de nombreuses années. Il a siégé dans de très nombreuses commissions et a été conseiller de nombreuses personnalités ministérielles en formulant des avis écoutés. Il consacrait une partie croissante de ses efforts à une vulgarisation scientifique de qualité, notamment pour contribuer à la formation des enseignants.

Très attaché à la collaboration entre chercheurs scientifiques de différents pays, il a multiplié les contacts aussi bien avec des pays lointains comme l’Inde et le Japon où il se rendait souvent qu’avec les pays européens, notamment le sud de l’Europe où il avait de très nombreux anciens étudiants. Il était responsable ou membre de plusieurs réseaux et programmes européens.

Ses qualités scientifiques ont été rapidement reconnues par la communauté scientifique en France et à l’étranger. Très tôt récipiendaire des médailles de bronze et d’argent du CNRS, professeur de classe excepionnelle très jeune, il a été nommé membre correspondant de l’Académie des sciences, membre de l’Institut Universitaire de France puis membre de l’Institut. Il a contribué au rajeunisement et au dynamisme renouvelé de ces institutions. Il était docteur honoris causa de plusieurs université étrangères.

C’était un travailleur apparemment infatigable, toujours attentif à la nouveauté, au dernier résultat ou à l’idée qui permettent d’aller plus loin, toujours plein d’initiatives et porteur de projets pour l’avenir. Nous sommes nombreux à avoir eu le privilège de travailler avec lui. Nous avons vécu des discussions franches, passionnées et nous y avons beaucoup appris. Aujourd’hui, c’est la maître, le collègue et l’ami qui manquent.

Jean-Jacques Girerd
Professeur à l’Université Paris-Sud
Michel Verdaguer
Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris 6)

Télécharger l'article