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Sociétés savantes ?

Article paru dans l'Actualité Chimique N°213 - avril 1998
Rédigé par Schorsch Gilbert

La journée d’étude organisée par la Société de Chimie Industrielle, à l’occasion du 80e anniversaire de sa fondation, a donné l’occasion de passer en revue l’historique des relations entre science et industrie. Occasion de nous faire réfléchir ensemble à leur évolution future.

A l’aube du XIXe siècle, les bases scientifiques de la chimie avaient besoin de se constituer, et les chimistes français, — Lavoisier ou Gay Lussac dans un premier temps, Dumas et Wurtz par la suite —, y participaient activement dans leurs rapports expérimentaux et la conceptualisation qu’ils en tiraient. Dans l’enthousiasme d’une discipline et d’une industrie naissantes, le rôle des sociétés savantes pour la diffusion des connaissances, par l’enseignement et les applications qui en résultaient, était évident. La Société Chimique de Paris était fondée en 1857.

Mais, au début de l’ère industrielle, dès 1826, des industriels créaient la Société Industrielle de Mulhouse, pour donner une base scientifique à l’industrie textile naissante et financer des recherches. On ne peut qu’applaudir à cette vision prémonitoire.

Figures emblématiques du savant, Chevreul et Pasteur savent tirer profit de la confrontation des connaissances scientifiques avec la réalité pratique.

Kuhlmann commence par enseigner la chimie industrielle à Lille, et y crée une entreprise chimique pour fabriquer la soude et l’acide sulfurique dont a besoin l’industrie textile. A l’inverse, plus tard, Kestner cesse de diriger ses entreprises pour se consacrer à la recherche.

Ces quelques exemples montrent qu’au départ, l’échange entre science et problèmes industriels est constant, et l’irrigation réciproque bien assurée. De confiantes et fructueuses, les relations entre science et industrie se distendent par la suite. Les sociétés savantes se multiplient pour défendre, quelques fois, des intérêts très particuliers.

Pourquoi les sociétés savantes sont-elles actuellement en crise ? Pour des raisons diverses, elles ont perdu progressivement le monopole de la création et de la diffusion du savoir. Après la 2e Guerre mondiale, la mise en place des grands organismes de recherche (CNTS, INRA, VEA ou INSERM…) amoindrit leur rôle dans la promotion de la recherche. Les connaissances scientifiques deviennent un enjeu stratégique que se disputent les grands groupes industriels et que les pouvoirs publics tentent d’organiser. Les problèmes de formation et d’emploi se traitent directement entre pouvoirs publics et syndicats professionnels. Le champ d’action des sociétés savantes s’est rétréci. Privées progressivement de leurs prérogatives, mises à l’écart et dispersées, elles traversent une crise d’identité par manque de représentativité et de moyens.

Elles pourraient se consoler de cette perte d’influence si des acteurs, qui ont pris le relais, avaient réussi à maintenir un dialogue efficace entre pourvoyeurs et utilisateurs de connaissances. La parution récente du rapport de Henri Guillaume vient à point pour démontrer que ce n’est pas le cas. Ce rapport, courageux et juste, dresse un constat très sévère pour la recherche et l’innovation en France, même si la chimie peut se prévaloir d’une image un peu meilleure que celle d’autres industries. Les difficultés du transfert d’un potentiel scientifique de premier plan vers des applications industrielles… et donc vers des emplois, sont clairement mises en lumière.

Ce n’est pas uniquement au rôle des sociétés savantes auquel il faut réfléchir. C’est tout le fonctionnement du dispositif scientifique et indusriel, que les divers acteurs — enseignants, chercheurs et industriels, tous ensemble —, doivent avoir le courage et l’ambition de remettre à plat. Trop de corporatisme et d’égoïsme personnel, dans les trois communautés, ont conduit à la situation actuelle.

Les sociétés savantes doivent-elles se remobiliser pour contribuer à cette remise à plat ? Oui, car elles peuvent aider à tisser la toile qui mêle le savoir, la trame, à la chaîne des expériences pratiques. A condition qu’elles s’ouvrent pour engager, entre elles, un dialogue constructif. Qu’elles aient la volonté, l’autorité et les moyens de le faire. Ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. Les PME, qui doivent contribuer de manière significative au développement de l’emploi, doivent bénéficier de réseaux de compétences qu’elles ne peuvent constituer toutes seules. Par ailleurs, la défense de la place de la chimie française dans la construction européenne nécessite une représentation collective et forte. L’apprentissage d’une véritable concertation est obligatoire pour intégrer les rôles spécifiques et complémentaires des trois composantes de la communauté. Une certaine révolution culturelle doit s’opérer mais le bon sens doit prévaloir pour les orientations futures :

  • les enseignants doivent connaître les besoins et tenir compte des attentes de l’industrie et de la recherche : ces dernières doivent participer à l’adaptation du contenu de l’enseignement et parachever cette formation. Le dernier colloque DGES/UIC a pris conscience de cette nécessité. A l’ère de l’informatique, l’expérience pédagogique des enseignants est essentielle pour structurer et formaliser le savoir et ainsi le transférer plus facilement.
  • les échanges entre chercheurs dans l’industrie et dans les laboratoires publics ne doivent pas seulement se limiter à la seule discussion des sujets de thèse et à la mise en place de collaborations bilatérales. Un dialogue plus global et plus stratégique est nécessaire. Les groupes thématiques UIC/SFC/SCI et les programmes du CNRS oeuvrent dans ce sens.
  • la recherche publique, financée sur fonds publics, doit participe à la résolution des problèmes concrets qui permettent à la chimie française, troisième exportateur mondial, de maintenir sa compétitivité, et aux industries en aval de maintenir leurs positions.

Comme le propose le rapport Guillaume, les règles du jeu actuel doivent être modifiées pour rendre le dispositif plus efficace en matière d’évaluation et de mobilité des chercheurs. Mais attention, il ne suffit pas de favoriser la mobilité d’un chercheur vers l’industrie pour stimuler l’innovation. La créativité est une capacité qui dépend autant de la personnalité de l’individu que de l’environnement dans lequel il évolue.

Il faut faire évoluer les structures de concertation pour qu’elles disposent des masses critiques pour établir un diaogue plus constructifs et pour mieux remplir leur fonction de coordination et de structuration. Dans un premier temps, la SFC et la SCI ont entamé des discussions, en liaison avec l’UIC, pour rendre le dispositif plus efficace et plus opérationnel.

Puissent ces discussions aboutir rapidement pour une meilleure visibilité et une participation réelle au transfert des connaissances qu’exige la bataille économique

Gilbert Schorsch
Rédacteur en chef

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